Voilà où ça mène d'avoir de
mauvaises fréquentations: un beau jour de mai, on se retrouve au
fin-fond de la campagne flamande au départ d'un 100 km à pied (ça
use les souliers, je sais)!
Non mais je vous jure, faut vraiment
pas être bien dans sa tête, ni y avoir grand chose, mais bon, j'y
suis, alors j'y vais.
Pour autant, ma présence à Steenwerck
cette année n'avait rien de fortuit. Même si je nourrissais de
nombreuses réserves quant à ma capacité à aller au bout, c'est
une course qui m'a intrigué dès que j'en ai eu connaissance. Je
n'ai tout d'abord vu que les banderoles placées au bord de
l'autoroute A26 , puis j'en ai eu une idée un peu plus précise
lorsque j'ai commencé à fréquenter Kikourou et l'image s 'est
définitivement imprimée dans un coin de ma cervelle l'année
dernière lorsque je suis venu en repérage et en ait apprécié
l'ambiance conviviale. Il faut aussi ajouter que je connais de plus
en plus de centbornards et autres coureurs d'ultras qui me poussent
plus ou moins discrètement à passer du côté obscur de la course
à pied. Non que j'ai besoin qu'on me pousse beaucoup, j'aime tenter
de repousser mes limites, mais la distance me paraissait jusqu'alors
trop intimidante. Ce n 'est qu'après mon premier 6h que j'ai
commencé à me dire que peut être un jour je pourrais y arriver.
Après tout un 100 bornes ce n 'est jamais que deux marathons et demi
(et même moins, si on chipote), et à Steenwerck on a 24h pour y
arriver, le seul problème c 'est la gestion de la douleur. Je ne me
considère pas comme étant spécialement douillet, mais quand je
vois l'état dans lequel je suis à la fin d'un marathon ou d'un 6h
je me vois mal remettre le couvert encore deux fois derrière. Ce
sont Chti Grincheux, Land, le Bagnard et compagnie qui m'enfonceront
dans le crâne la solution à force de discussions à bâtons rompus
(je m'excuse auprès des amateurs de marche nordique) autour du
barbecue du Grincheux lors de deux veillées pré-Maroilles: il faut
courir lentement! Drôle de concept que cette course lente, pourquoi ne
pas marcher carrément? Mais petit à petit je finis par me faire à
cette idée. Il est évident que je ne tiendrais pas 100 km à mon
allure marathon. Je le sais: à mesure que la distance s'allonge, la
moyenne baisse. Pour y arriver, il faut donc partir très lentement,
et se préparer à passer plus de 15 heures sur la route, à courir
toute la nuit. Le problème ne devient plus physique, mais
psychologique, ainsi qu'en témoignent de nombreux comptes-rendus de
kikous à priori plus balèzes que moi ayant tenté l'aventure en
vain, mais ayant accouché à l'occasion de récits proprement
bouleversants. Il me
faudra plus d'un an pour que j'en vienne à admettre que je suis
capable de franchir ce nouvel Everest. L'année dernière déjà, même si je
n'étais venu qu'en repérage, j'avais eu un gros pincement au coeur
en voyant les copains s'élancer sans moi. Le lendemain, lorsque je
repassai par Steenwerck pour assister à la remise des prix, ma
décision était prise: en 2012 je serai au départ!
C 'est là que les choses se
compliquent: en septembre je dois abandonner au 10è km du semi de la
Braderie de Lille à cause de mon genou droit. Je fais toute une
batterie de test, des radios, un IRM, finalement on ne me trouve
rien, mais le toubib me prescrit des anti-inflammatoires. Et ça
marche: dans la foulée je fais mes premiers trails ( les Terrils et
les Lueurs d'Espoir) et j'approche par deux fois mon record sur semi
marathon. Seconde alerte cependant: aux 6h de Marchiennes mon pied et
mon genou droit se manifestent de nouveau, m'obligeant à une longue
pause pour me faire masser par le kiné de la course. Bilan positif
tout de même, j'ai atteint les 50 km malgré tous mes
arrêts.
Et puis c 'est le drame: lors de la
Course de Noël des Moulins à Steenvoorde, à 300 mètres de la
ligne d'arrivée, je sens mon pied droit se dérober au passage d'une
bordure de trottoir, je tombe et me fracture le pied (ou l'inverse,
je ne sais plus très bien).
6 semaines dans le plâtre!
Le plâtre enlevé, vient la
rééducation: non seulement je dois réapprendre à marcher ( 6
semaines à se déplacer avec des béquilles ça crée de mauvais
réflexes!) mais mon mollet droit a perdu presque 50 % de sa masse! C
'est là que je me dis que ma saison 2012 est fichue; combien de
temps faut-il pour récupérer ses muscles?
Finalement pas si longtemps que ça. Un
mois et demi plus tard je recommence à trottiner doucement.
Evidemment je suis exagérément attentif à la moindre douleur et
j'ai une peur panique de me tordre la cheville, alors c 'est un peu
raide au début, puis je me lance le lundi de Pâques, à l'occasion
du 10 km de Quand Lomme Court. Une course bouclée en 48 minutes,
très encourageant, même si ma cheville et mon genou se sont rappelés à mon souvenir vers la fin du parcours.
Le 15 avril, c'était le marathon
d'Annecy. Je m'étais inscrit avant de me casser le pied, pensant au
passage rendre visite à un pote. Finalement pas de course (
heureusement d'ailleurs, le temps était proprement horrible: froid,
pluie, vent...) mais un week end gastronomique très sympa, je
reviendrai (quand il fera meilleur!).
La semaine suivante, frustré de
n'avoir pas pu courir le marathon d'Annecy, j'accompagnais Chti
Grincheux dans l'Oise pour les 6h du Moulin ( décidément, les
moulins me suivent partout, je ne vais pas tarder à me prendre pour
Don Quichotte!) avec la ferme intention de me tester. Objectif:
courir 2h et/ou 20km. Après un peu plus de 2h j'ai fait mes 20 km,
mais comme je m'ennuie à ne rien faire je continue en alternant
course et marche. A la fin des 6h j'ai parcouru presque 44 km, presqu'aussi bien qu'à Marchiennes! Intérieurement j'exulte: Arka's back in the race!
Le mois de mai est traditionnellement
riche en courses, et je n'ai désormais plus de raisons de me priver
( même si j'y vais encore mollo): le premier mai c 'est Maroilles,
où je ressors mon déguisement de Steenvoorde (il faut à tout prix
conjurer le mauvais sort!), le 8 mai c 'est la Course de la Paix à
Trith St Léger et ses trois redoutables boucles (2h sur le semi) et
le 13 mai, ayant refilé mon dossard gagné à Lomme pour la Route du
Louvre à Chti Grincheux, je mettais le cap sur la baie de Somme pour
la Transbaie.
Entre temps j'avais déclaré mon
intention de prendre le départ de Steenwerck et de voir jusqu'où
cela me mènerait. J'avais fait 44km dans l'Oise, je me disais que je
devais être capable d'atteindre les 60 bornes, ce qui m'amènerait à
un nouveau record personnel de distance parcourue, même si,
secrètement, j'espérais bien aller au bout de ces fameuses cent
bornes! Pour ce faire j'avais même investi dans une nouvelle paire
de baskets, des gants, deux boites de sparadraps, des piles de
rechange pour ma frontale et un stock d'Isostar; c 'est dire si je
prenais la chose au sérieux!
Mais trêve de préliminaires et
entrons à présent dans le vif du sujet.
J'arrive donc à Steenwerck une bonne
heure avant le départ. Après quelques difficultés je finis par
trouver une place où garer ma C1 le long du parcours, non loin de la
salle, à l'entrée de laquelle je retrouve un Vivien hilare
accompagné de son père et de sa soeur. Ils me disent que le Rag'
est déjà là. Je ne l'ai jamais vu, aussi suis-je très curieux de
le rencontrer. Je file à la table des inscriptions: maintenant c
'est officiel, je suis inscrit sur le 100 km open, j'ai signé pour
en baver! (et j'ai même payé pour ça! faut que je me fasse
soigner!). Je n'ai presque rien mangé de la journée, aussi vais-je
chercher un sandwich à la baraque à frites. C 'est là que me
retrouve la Chti Vincent family. Pour faire passer les sandwiches
nous nous dirigeons vers le bar et, alors que nous sirotons nos
bières, nous croisons un François D'Arras tout souriant.
Mais l'heure tourne, je file à ma
voiture m'habiller (et accessoirement avaler un anti-inflammatoire,
je me dope maintenant!).
Je retrouve Vincent quelques minutes
seulement avant que le départ ne soit donné. Nous avisons des
coureurs qui mettent une sorte de ticket dans une espèce d'urne tenue par un
bénévole avant de s'engouffrer dans une bâtisse donnant sur le
parc de la ville. Intrigués nous demandons ce qu'il en est: il
s'avère que dans l'enveloppe contenant le dossard il y a un ticket
que l'on se doit d'introduire dans cette boite pour prouver notre
présence au départ. Dans ma précipitation, je n'avais pas vu ce
petit bout de papier. Mais quelle tête en l'air je fais! Je me
mettrais des baffes! Pour Chti Vincent cela ne porte pas à
conséquence, il court sans dossard, par contre en ce qui me concerne
c 'est un peu plus problématique, mais le départ est imminent, pas
le temps de faire l'aller-retour jusqu'à ma voiture.
Le coup de feu retentit, le parc se
déverse lentement sur la rue principale de Steenwerck, ça y est, je
suis dans le bain, maintenant il faut nager!
Il y a du monde lors de ce premier
tour: les coureurs, les marcheurs, des randonneurs, ceux qui ne
viennent faire qu'un tour, ceux qui viennent juste pour encourager
les copains. Nous marchons plus que nous ne courons pendant un
moment, puis la foule devenant moins compacte, nous nous élançons à
petites foulées sur le bitume.
Un peu avant la sortie du village
j'avise une haute silhouette coiffée d'un buff orange, les bras se
soulevant et s'abaissant au rythme de ses bâtons de marcheur
nordique: Le Rag', avec qui je fais enfin connaissance. Le rencontrer
c 'est retrouver un peu de mon enfance, puisqu'il habite tout près
du village qui m'a vu grandir. Nous échangeons quelques mots puis le
laissons progresser à son allure. Pour le moment je cours plus vite
qu'il ne marche, mais je suis certain qu'il me dépassera avant que
la course ne s'achève, ou du moins je l'espère, cela voudra dire
que nous serons sur le point d'en terminer!
La première boucle nous ramène dans Steenwerck, et Cht'Isabelle en
profite pour nous tirer le portrait, à son époux et à moi-même, à
plusieurs reprises. Pour un peu on se prendrait pour des célébrités
harcelées par des paparazzi!
Nous sommes encore dans la ville qu'un
premier ravitaillement apparaît soudain. Comme je ne suis pas
pressé, je m'arrête quelques secondes ( je ferai TOUS les
ravitaillements, on n 'est jamais trop prudent lors de la première
sur un nouveau format).
Nous sortons une nouvelle fois de l'agglomération, et cette fois c 'est la bonne, nous sommes sur la boucle
« officielle », celle qu'il faudra parcourir cinq fois
pour devenir centbornard, d'ailleurs voici un signe qui ne trompe
pas: le premier des deux ponts de TGV ( et non d'autoroute
comme je l'ai lu ici ou là). J'avais décidé de marcher dans les
ascensions, nous arrêtons donc de courir pour l'instant. Bon sang
qu'il est long ce pont! Et le fait qu'il ne soit pas droit renforce
cette impression, il paraît sans fin! Quelques centaines de mètres
après la descente nous arrivons à la boucle de Croix du Bac, la
seule section du parcours où l'on peut croiser les autres coureurs.
C 'est ainsi que nous apercevons Vivien dans son costume
d'Assurancetourix! Il devient de plus en plus fou, décidément! Il
ne va quand même pas faire les cent kilomètres accoutré de la
sorte?
Le premier contrôle a donc lieu dans
la salle des fêtes de Croix du Bac où nous attend, outre un
ravitaillement copieux, un petit duo musical guitare-accordéon qui met de l'ambiance et donne du coeur à l'ouvrage.
Il faisait bien chaud dans la salle des fêtes, en sortant on se rend compte que la température commence à
sérieusement descendre, il va falloir s'habiller chaudement pour la
nuit!
Le soir tombe, faisant remonter des
odeurs d'herbe fraiche, de terre et de colza, une vraie madeleine de
Proust qui me renvoie une nouvelle fois à mon enfance dans un
minuscule village près de Bergues. Au 3è ravito ça sent plutôt
l'oignon par contre, et je manque de perdre Chti Vincent qui s'était
écarté de la route pour satisfaire à un besoin naturel.
Il fait encore bien clair et on peut à
loisir admirer les jolies maisons de campagne qui bordent le
parcours, pour un peu ça donnerait envie de quitter Lille.
Dans les derniers kilomètres de ce
premier tour nous incorporons un petit groupe de joyeux lurons, si
bien que de blagues en chambrage bon enfant nous terminons le premier
tour presque sans nous en rendre compte, en 2h44.
Vincent a atteint son objectif, il
s'arrête là, non sans me souhaiter bonne chance et me faire
promettre de lui envoyer un message si d'aventure j'entamais le 5è
tour au petit matin. Rendez-vous est pris, et je me dirige vers ma
voiture pour enfiler mes gants, passer mon écharpe autour de ma
gorge si délicate ( j'ai déjà été victime de plusieurs
extinctions de voix), fixer ma frontale et faire le plein de ma
petite bouteille.
Au passage je fouille dans l'enveloppe
ayant contenu mon dossard et finis par trouver le fameux ticket,
celui que j'étais censé remettre au départ comme preuve de ma
présence au début de l'épreuve.
Les lecteurs attentifs auront remarqué
que je n'ai pas pris de polaire ni de pull. Je suis un inconscient,
je sais.
C 'est donc parti pour le 2è tour dans
la lumière déclinante et la température froidissante ( oui,
j'invente des mots, ça m'arrive parfois). Les oiseaux jettent leurs
derniers chants, le soleil couchant joue les artistes sur la toile
d'un ciel pur, et l'air se charge des parfums de la nuit dont
j'emplis mes poumons en profondes inspirations. Je me dis que j'ai
vraiment de la chance de courir ici, aujourd'hui par ce temps là et
je tiens à en profiter pleinement. Le seul problème ce sont les
chemins de campagne qui sont tout sauf plats, et qui me promettent
des frayeurs une fois la nuit noire venue. Je n'ai qu'une angoisse:
me tordre la cheville et me casser à nouveau le pied. C 'est sans
doute la seule chose qui pourrait m'arrêter ce soir.
Je retrouve bientôt le premier (long)
pont ferroviaire, et à Croix du Bac, un peu inquiet, je demande aux
contrôleurs que faire avec mon ticket que j'ai oublié de donner au
départ. Ils me rassurent en me disant qu'il suffit de le donner à
mon prochain passage à la salle des sports.
L'orchestre est toujours là, mais ils
vont bientôt s'arrêter. On entre vraiment dans la nuit, il va y
avoir de moins en moins de monde sur le parcours. Heureusement, à
chaque bifurcation on a installé des lampes de chantier afin
d'éviter aux coureurs de se perdre dans la nature.
Aux ravitaillements il y a maintenant
de la soupe! J'en profite pour me réchauffer la carcasse. Ca fait du
bien par où ça passe!
Un peu avant le deuxième pont, une
voiture précédée d'un coureur me dépasse: c 'est le leader de la
course qui vient de me prendre un tour! Mais au bout de quelques
centaines de mètres je le vois s'arrêter et se tenir la cuisse à
deux mains. Je dépasse l'équipage et il me dépasse de nouveau
quelque temps plus tard. Au dernier ravito on m'apprend qu'il est sur
le point d'abandonner. Il va juste tenter de rallier la salle des
sports. Dure loi de la course.
Je termine ce deuxième tour plutôt
tranquillement, en 2h40 et j'ai bon espoir de couvrir au moins 3
tours. Je me mets de plus en plus à croire à l'exploit.
A la salle des sports je finis par
remettre mon ticket à des contrôleurs très compréhensifs qui
m'assurent que mon oubli ne me portera aucunement préjudice.
Rasséréné, je file à ma voiture
pour y chercher le sweat que je me souviens avoir mis dans le sac,
mais à la lueur de la frontale je ne retrouve rien et je dois me
contenter de mon coupe-vent. J'ai dû perdre facilement 20 minutes
dans l'affaire.
Je me passe sur les jambes un peu
d'huile chauffante (erreur dont je réaliserai l'ampleur plus tard)
et c'est reparti pour un tour, le tour qui va décider de tout: si je
finis celui-ci en bonne condition je repars pour un quatrième et à
ce moment là je ne me vois pas abandonner aux portes du 5è, même
si je dois terminer en boitant.
Il fait maintenant nuit noire, et il
fait aussi très froid. Je me souviens que la météo annonçait 3°
pour la nuit, et si elle s 'est trompé, ce n 'est pas
de beaucoup! Mes gants ne me protègent pas vraiment, et mon coupe
vent pas plus ( il n'y a pas de vent!). Pire encore, la sueur
refroidit très vite et renforce encore mon inconfort. Pour autant
j'apparais encore frais aux yeux des bénévoles avec qui je discute
aux ravitaillements, et la dame qui s'occupe du dernier contrôle
avant la salle de sport est convaincue que j'irai au bout. Voilà qui
fait plaisir à entendre!
Le froid agit aussi sur mon système
digestif, ou alors c 'est que j'assimile l'isostar trop vite, quoi
qu'il en soit il me semble que je m'arrête tous les kilomètres pour
une pause pipi, et au 3è ravito je dois faire la queue devant les
toilettes mobiles.
Je l'ai dit, les chemins de campagne
empruntés par la course ne sont absolument pas plats: ils forment
comme une bosse en leur milieu qui descend en une pente plus ou moins
prononcée sur les deux côtés. La plupart du temps je tente de
marcher sur le sommet, de garder le haut du pavé en quelque sorte,
mais ce n 'est pas toujours possible, alors je privilégie le côté
gauche de la route afin d'épargner mon pied droit. Arrivé au milieu
de la boucle je sens ma cheville se tordre. Je sursaute, plus de peur
que de douleur, mais me rassure vite: même si je ressens une légère
douleur cela n'entrave en rien ma foulée. Tout de même, je me suis
fait une belle frayeur, et je redouble désormais de vigilance.
Je termine ce tour de tous les dangers
en 3h06, et je me sens encore en pleine forme, n'était-ce ce froid
qui commence à s'insinuer dans tout mon être. Il faut absolument
que je retrouve ce sweat! Je retourne à ma voiture et retourne le
contenu du coffre sur la route, mais je ne trouve toujours rien. Il
ne me reste plus qu'un chose à faire: mettre des vêtements secs.
Heureusement que j'avais apporté des vêtements de rechange! Je
change tout: mon t-shirt manches longues, le manches courtes, les
chaussettes, les pansements ( je commence à avoir de belles ampoules
au pied gauche), le slip (j'ai un début d'échauffement à
l'entrejambe) et le short (je retrouve mon vieux short bleu, celui
que j'ai porté sur presque toutes mes courses). Je ne garde que mes
baskets; même si j'avais apporté toutes les paires que je possède
celles-ci me semblent les plus à même de m'amener au bout.
Je refais le plein de ma bouteille et
je repars dans la nuit noire.
A part l'irritation de plus en plus
prononcée de mon entrejambe, me forçant à marcher légèrement en
canard, et les jambes qui se font de plus en plus douloureuses, rien
de notable ne se produit sur ce tour jusqu'à Croix du Bac où je
croise François d'Arras qui m'encourage chaleureusement et me dit
qu'il abandonne. Il venait d'entamer son 3è tour. Je suis désolé
pour lui, et même si je n'y suis pour rien je me sens un peu
coupable: après je ne sais combien de tentatives il ne finira encore
une fois pas cette course, alors que je suis bien parti pour y
parvenir à ma première participation, avec la non-préparation que
l'on sait. Il se passe vraiment des choses bizarres sur les courses.
Autre bizarrerie, certaines lampes
situées aux bifurcations se sont éteintes, heureusement qu'on
commence à bien connaître le parcours!
La fatigue commence à se faire sentir:
j'ai l'impression de dormir debout, et de temps à autre, dans la
lueur des frontales des coureurs qui me précèdent je crois voir des
animaux qui traversent ou attendent le long de la route. J'hallucine,
il est temps de me mettre au café!
Alors que je vois poindre les première
lueurs de l'aube, une silhouette familière se matérialise à mon
côté: Le Rag'! Comme je m'en doutais au départ, il a fini par me
rattraper. Tout à l'air d'aller bien pour lui. On discute, on
plaisante, le temps et les kilomètres s'estompent, je m'arrête au
dernier ravito, mais lui continue. Je ne le reverrai qu'à l'arrivée.
Mes jambes sont de plus en plus
douloureuses, et sur les deux derniers kilomètres je suis obligé de
marcher, hors ascension de ponts, pour la première fois depuis le
départ.
Je boucle cet avant-dernier tour en
3h26. A présent j'en suis certain: dans quelques heures j'en aurai
fini avec mon premier cent kilomètres ( il y en aura d'autres,
forcément!), mais pour l'heure il faut faire quelque chose à propos
de cette irritation à l'entrejambe! Je m'adresse aux médecins
présents dans la salle afin de leur demander une pommade ou quoi que
soit qui puisse me soulager, mais pour ce genre de choses les
pommades sont uniquement préventives (encore une chose à prévoir
la prochaine fois), On me pose donc un pansement qui limitera les
frottements.
J'entame le cinquième tour. Comme
promis j'envoie un sms à Chti Vincent puis décide d'embarquer mon
appareil photo afin d'immortaliser le dernier tour de cette grande
première: mon premier cent kilomètres!
Je savoure cette dernière boucle comme
un coureur de cent mètre faisant un tour de stade après sa
victoire; le soleil est désormais bien levé, les oiseaux chantent
pour célébrer l'aube nouvelle, et, je me plais à l'imaginer, mon
exploit personnel, le ciel est d'un bleu pur, il ne fait plus si
froid, même si je garde mon écharpe, je vis un véritable moment de
bonheur.
Du moins jusqu'à ce que mes jambes se
mettent à brûler! Littéralement!
Je ne sais pas si c 'est dû à l'huile
chauffante que je me suis appliquée au coeur de la nuit quand il
gelait presque, ou à la sueur qui, à cause des sels qu'elle
transporte a cet effet, ou si c 'est l'effet de l'acide lactique,
c'est sans doute tout cela à la fois, mais en tout cas c 'est très
désagréable! Pas vraiment douloureux, du moins pas insupportable,
mais très gênant.
Je ne laisse cependant pas cela me
gâcher mon plaisir, et je mitraille à tout-va, ce qui me fournit
une excuse toute trouvée pour marcher de temps en temps.
A environ 7 ou 8 km de l'arrivée mon
téléphone sonne: c 'est Chti Vincent qui me confirme qu'il sera
présent à l'arrivée. Mon message matinal a fait son petit effet,
il est très heureux pour moi mais aussi complétement abasourdi,
comme beaucoup de monde, et moi le premier. Même si j'espérais au
fond de moi terminer ce cent kilomètres j'avais de sérieux doutes
sur mes les capacités de mes jambes à tenir la distance, surtout
pour ma cheville et mon pied droits! Mais je suis bien là, à moins
de dix bornes de l'arrivée, sur le point d'atteindre ce nouvel
Himalaya.
Je m'imprègne une dernière fois du
paysage, c 'est la dernière fois que je passe par ici, du moins pour
cette année, c 'est la dernière fois que je vois cette ferme, cette
maison de campagne, cette cabane dans les arbres. Je double encore
des randonneurs sur la route, ils ont vraiment marché toute la nuit
comme ça? Je me fais doubler aussi, par de véritables flèches! La
course du matin a débuté depuis quelques heures, et ce n 'est pas
la même allure! Presque tous prennent le temps de m'encourager au
passage, parfois même de me féliciter quand la conversation dure
assez longtemps pour que leur dise que j'en suis au dernier tour, c
'est vraiment sympa de leur part, et ça donne bien la pêche pour
terminer. Oui, car j'ai beau vivre un grand moment de bonheur, je
n'en ai pas moins mal aux jambes et j'ai quand même hâte d'en
finir, d'autant plus que la ligne d'arrivée se rapproche.
J'arrive dans les ultimes virages
champêtres, plus que deux kilomètres. Au bout là bas on revient
sur de la vraie route, il faut faire attention aux voitures,on
tourne à gauche, puis à droite, c 'est la longue ligne (à peu
près) droite qui mène à Steenwerck, voici le panneau annonçant
l'entrée dans l'agglomération, un peu plus loin c 'est la marque
des 99 km, ça y est, je vais y arriver, plus que mille mètres. Je
voudrais déjà être arrivé, mais j'aimerais aussi prolonger cet
instant. Il faut choisir, alors j'avance, j'accélère même! A trois
cent mètres de l'arrivée j'aperçois Vincent qui me prend en photo.
Un grand sourire, un signe de la main,
un bonjour, je lui confie mon appareil photo, Vincent doit piquer des
sprints pour pouvoir me photographier de face! je n'ai jamais couru
aussi vite ces dernières 24 heures! Enfin je passe la porte de la
salle des sports sous les hourras et les applaudissements des
bénévoles et des gens présents dans la salle, je regarde le
tableau, mon nom apparaît en rouge, 100km en 15h09! Je me retourne,
tout le monde est là: Vivien, qui en a terminé trois heures plus
tôt, le Rag' et sa moitié, et même François d'Arras, qui était
resté toute la nuit pour encourager les copains.
Je me retourne encore vers le tableau,
je n'y crois toujours pas. J'ai couru (enfin la plupart du temps)
pendant 100 kilomètres et je ne suis même pas si fatigué que cela.
Je m'étais préparé à finir en rampant s'il le fallait mais
finalement il n'y a que des douleurs aux jambes comparables à
l'arrivée d'un 6h. Je m'écoeure moi-même! Je ne sais pas ce que me
réservent mes courses futures, mais en tout cas aujourd'hui rien ne
pouvait m'arriver, rien ne pouvait me stopper, une sorte d'état de
grâce, je ne vois pas comment expliquer cela autrement. J'ai fait la
course de ma vie.
Je m'attable avec les copains, on
compare nos impressions, nos chronos, on parle de Shunga (que je n'ai
toujours pas rencontré), toujours en course.
Je « sens l'effort », comme
dit Vivien, donc direction la douche, clopin-clopant. L'eau est
froide mais fait un bien fou, d'autant que j'ai toujours les jambes
en feu. Cette sensation de brûlure se dissipera finalement assez
rapidement, mais j'aimerais bien savoir ce qu'il en est.
Retour à la joyeuse tablée. Je crois
que c 'est François qui paie la tournée de bières, Vivien quant à
lui se charge des frites.
Bon sang ça fait du bien par où ça
passe!
Grand moment de camaraderie et de
convivialité.
Vincent était aussi venu dans
l'éventualité où j'aurais trop mal aux jambes pour conduire,
finalement ça va, je me perd un peu du côté de Nieppe mais je
finis par retrouver l'autoroute.
Je comate toute la journée, pas moyen
de vraiment dormir après une nuit pareille. Je suis crevé mais
aussi trop exalté pour prétendre à un vrai sommeil. Il va me
falloir un moment pour réaliser ce que je viens d'accomplir.
En attendant, retour à Steenwerck en
soirée pour la remise des prix. J'en profite aussi pour passer
prendre mon t-shirt aux couleurs de la course. Quand je vous dis que
je suis une tête de linotte! (au fait, mon sweat était bien dans
mon sac! C 'est ça de courir sans lunettes!)
Une ultime bière avec Vivien avant de
monter sur le podium ( tous les finishers y sont conviés) et il est
temps de rentrer, je suis attendu chez ma soeur qui va encore me
traiter de cinglé. Elle doit avoir un peu raison quelque part. Pour
quelle raison une personne sensée se lancerait-on dans une telle
aventure? Mais c 'est si bon d'être fou, surtout lorsqu'on vit des
moments aussi forts! Et celui-ci, comme tant d' autres, n'aurait
jamais été possible sans la bande de cinglés que j'ai rencontrée
sur Kikourou.
Je vous le disais, j'ai de mauvaises
fréquentations ;)