lundi 21 mai 2012

100 km à pied de Steenwerck



Voilà où ça mène d'avoir de mauvaises fréquentations: un beau jour de mai, on se retrouve au fin-fond de la campagne flamande au départ d'un 100 km à pied (ça use les souliers, je sais)!
Non mais je vous jure, faut vraiment pas être bien dans sa tête, ni y avoir grand chose, mais bon, j'y suis, alors j'y vais.

Pour autant, ma présence à Steenwerck cette année n'avait rien de fortuit. Même si je nourrissais de nombreuses réserves quant à ma capacité à aller au bout, c'est une course qui m'a intrigué dès que j'en ai eu connaissance. Je n'ai tout d'abord vu que les banderoles placées au bord de l'autoroute A26 , puis j'en ai eu une idée un peu plus précise lorsque j'ai commencé à fréquenter Kikourou et l'image s 'est définitivement imprimée dans un coin de ma cervelle l'année dernière lorsque je suis venu en repérage et en ait apprécié l'ambiance conviviale. Il faut aussi ajouter que je connais de plus en plus de centbornards et autres coureurs d'ultras qui me poussent plus ou moins discrètement à passer du côté obscur de la course à pied. Non que j'ai besoin qu'on me pousse beaucoup, j'aime tenter de repousser mes limites, mais la distance me paraissait jusqu'alors trop intimidante. Ce n 'est qu'après mon premier 6h que j'ai commencé à me dire que peut être un jour je pourrais y arriver. Après tout un 100 bornes ce n 'est jamais que deux marathons et demi (et même moins, si on chipote), et à Steenwerck on a 24h pour y arriver, le seul problème c 'est la gestion de la douleur. Je ne me considère pas comme étant spécialement douillet, mais quand je vois l'état dans lequel je suis à la fin d'un marathon ou d'un 6h je me vois mal remettre le couvert encore deux fois derrière. Ce sont Chti Grincheux, Land, le Bagnard et compagnie qui m'enfonceront dans le crâne la solution à force de discussions à bâtons rompus (je m'excuse auprès des amateurs de marche nordique) autour du barbecue du Grincheux lors de deux veillées pré-Maroilles: il faut courir lentement! Drôle de concept que cette course lente, pourquoi ne pas marcher carrément? Mais petit à petit je finis par me faire à cette idée. Il est évident que je ne tiendrais pas 100 km à mon allure marathon. Je le sais: à mesure que la distance s'allonge, la moyenne baisse. Pour y arriver, il faut donc partir très lentement, et se préparer à passer plus de 15 heures sur la route, à courir toute la nuit. Le problème ne devient plus physique, mais psychologique, ainsi qu'en témoignent de nombreux comptes-rendus de kikous à priori plus balèzes que moi ayant tenté l'aventure en vain, mais ayant accouché à l'occasion de récits proprement bouleversants. Il me faudra plus d'un an pour que j'en vienne à admettre que je suis capable de franchir ce nouvel Everest. L'année dernière déjà, même si je n'étais venu qu'en repérage, j'avais eu un gros pincement au coeur en voyant les copains s'élancer sans moi. Le lendemain, lorsque je repassai par Steenwerck pour assister à la remise des prix, ma décision était prise: en 2012 je serai au départ!

C 'est là que les choses se compliquent: en septembre je dois abandonner au 10è km du semi de la Braderie de Lille à cause de mon genou droit. Je fais toute une batterie de test, des radios, un IRM, finalement on ne me trouve rien, mais le toubib me prescrit des anti-inflammatoires. Et ça marche: dans la foulée je fais mes premiers trails ( les Terrils et les Lueurs d'Espoir) et j'approche par deux fois mon record sur semi marathon. Seconde alerte cependant: aux 6h de Marchiennes mon pied et mon genou droit se manifestent de nouveau, m'obligeant à une longue pause pour me faire masser par le kiné de la course. Bilan positif tout de même, j'ai atteint les 50 km malgré tous mes arrêts.
Et puis c 'est le drame: lors de la Course de Noël des Moulins à Steenvoorde, à 300 mètres de la ligne d'arrivée, je sens mon pied droit se dérober au passage d'une bordure de trottoir, je tombe et me fracture le pied (ou l'inverse, je ne sais plus très bien).
6 semaines dans le plâtre!
Le plâtre enlevé, vient la rééducation: non seulement je dois réapprendre à marcher ( 6 semaines à se déplacer avec des béquilles ça crée de mauvais réflexes!) mais mon mollet droit a perdu presque 50 % de sa masse! C 'est là que je me dis que ma saison 2012 est fichue; combien de temps faut-il pour récupérer ses muscles?
Finalement pas si longtemps que ça. Un mois et demi plus tard je recommence à trottiner doucement. Evidemment je suis exagérément attentif à la moindre douleur et j'ai une peur panique de me tordre la cheville, alors c 'est un peu raide au début, puis je me lance le lundi de Pâques, à l'occasion du 10 km de Quand Lomme Court. Une course bouclée en 48 minutes, très encourageant, même si ma cheville et mon genou se sont rappelés à mon souvenir vers la fin du parcours.
Le 15 avril, c'était le marathon d'Annecy. Je m'étais inscrit avant de me casser le pied, pensant au passage rendre visite à un pote. Finalement pas de course ( heureusement d'ailleurs, le temps était proprement horrible: froid, pluie, vent...) mais un week end gastronomique très sympa, je reviendrai (quand il fera meilleur!).
La semaine suivante, frustré de n'avoir pas pu courir le marathon d'Annecy, j'accompagnais Chti Grincheux dans l'Oise pour les 6h du Moulin ( décidément, les moulins me suivent partout, je ne vais pas tarder à me prendre pour Don Quichotte!) avec la ferme intention de me tester. Objectif: courir 2h et/ou 20km. Après un peu plus de 2h j'ai fait mes 20 km, mais comme je m'ennuie à ne rien faire je continue en alternant course et marche. A la fin des 6h j'ai parcouru presque 44 km, presqu'aussi bien qu'à Marchiennes! Intérieurement j'exulte: Arka's back in the race!
Le mois de mai est traditionnellement riche en courses, et je n'ai désormais plus de raisons de me priver ( même si j'y vais encore mollo): le premier mai c 'est Maroilles, où je ressors mon déguisement de Steenvoorde (il faut à tout prix conjurer le mauvais sort!), le 8 mai c 'est la Course de la Paix à Trith St Léger et ses trois redoutables boucles (2h sur le semi) et le 13 mai, ayant refilé mon dossard gagné à Lomme pour la Route du Louvre à Chti Grincheux, je mettais le cap sur la baie de Somme pour la Transbaie.
Entre temps j'avais déclaré mon intention de prendre le départ de Steenwerck et de voir jusqu'où cela me mènerait. J'avais fait 44km dans l'Oise, je me disais que je devais être capable d'atteindre les 60 bornes, ce qui m'amènerait à un nouveau record personnel de distance parcourue, même si, secrètement, j'espérais bien aller au bout de ces fameuses cent bornes! Pour ce faire j'avais même investi dans une nouvelle paire de baskets, des gants, deux boites de sparadraps, des piles de rechange pour ma frontale et un stock d'Isostar; c 'est dire si je prenais la chose au sérieux!

Mais trêve de préliminaires et entrons à présent dans le vif du sujet.
J'arrive donc à Steenwerck une bonne heure avant le départ. Après quelques difficultés je finis par trouver une place où garer ma C1 le long du parcours, non loin de la salle, à l'entrée de laquelle je retrouve un Vivien hilare accompagné de son père et de sa soeur. Ils me disent que le Rag' est déjà là. Je ne l'ai jamais vu, aussi suis-je très curieux de le rencontrer. Je file à la table des inscriptions: maintenant c 'est officiel, je suis inscrit sur le 100 km open, j'ai signé pour en baver! (et j'ai même payé pour ça! faut que je me fasse soigner!). Je n'ai presque rien mangé de la journée, aussi vais-je chercher un sandwich à la baraque à frites. C 'est là que me retrouve la Chti Vincent family. Pour faire passer les sandwiches nous nous dirigeons vers le bar et, alors que nous sirotons nos bières, nous croisons un François D'Arras tout souriant.
Mais l'heure tourne, je file à ma voiture m'habiller (et accessoirement avaler un anti-inflammatoire, je me dope maintenant!).
Je retrouve Vincent quelques minutes seulement avant que le départ ne soit donné. Nous avisons des coureurs qui mettent une sorte de ticket dans une espèce d'urne tenue par un bénévole avant de s'engouffrer dans une bâtisse donnant sur le parc de la ville. Intrigués nous demandons ce qu'il en est: il s'avère que dans l'enveloppe contenant le dossard il y a un ticket que l'on se doit d'introduire dans cette boite pour prouver notre présence au départ. Dans ma précipitation, je n'avais pas vu ce petit bout de papier. Mais quelle tête en l'air je fais! Je me mettrais des baffes! Pour Chti Vincent cela ne porte pas à conséquence, il court sans dossard, par contre en ce qui me concerne c 'est un peu plus problématique, mais le départ est imminent, pas le temps de faire l'aller-retour jusqu'à ma voiture.
Le coup de feu retentit, le parc se déverse lentement sur la rue principale de Steenwerck, ça y est, je suis dans le bain, maintenant il faut nager!
Il y a du monde lors de ce premier tour: les coureurs, les marcheurs, des randonneurs, ceux qui ne viennent faire qu'un tour, ceux qui viennent juste pour encourager les copains. Nous marchons plus que nous ne courons pendant un moment, puis la foule devenant moins compacte, nous nous élançons à petites foulées sur le bitume.
Un peu avant la sortie du village j'avise une haute silhouette coiffée d'un buff orange, les bras se soulevant et s'abaissant au rythme de ses bâtons de marcheur nordique: Le Rag', avec qui je fais enfin connaissance. Le rencontrer c 'est retrouver un peu de mon enfance, puisqu'il habite tout près du village qui m'a vu grandir. Nous échangeons quelques mots puis le laissons progresser à son allure. Pour le moment je cours plus vite qu'il ne marche, mais je suis certain qu'il me dépassera avant que la course ne s'achève, ou du moins je l'espère, cela voudra dire que nous serons sur le point d'en terminer!
La première boucle nous ramène dans Steenwerck, et Cht'Isabelle en profite pour nous tirer le portrait, à son époux et à moi-même, à plusieurs reprises. Pour un peu on se prendrait pour des célébrités harcelées par des paparazzi!
Nous sommes encore dans la ville qu'un premier ravitaillement apparaît soudain. Comme je ne suis pas pressé, je m'arrête quelques secondes ( je ferai TOUS les ravitaillements, on n 'est jamais trop prudent lors de la première sur un nouveau format).
Nous sortons une nouvelle fois de l'agglomération, et cette fois c 'est la bonne, nous sommes sur la boucle « officielle », celle qu'il faudra parcourir cinq fois pour devenir centbornard, d'ailleurs voici un signe qui ne trompe pas: le premier des deux ponts de TGV ( et non d'autoroute comme je l'ai lu ici ou là). J'avais décidé de marcher dans les ascensions, nous arrêtons donc de courir pour l'instant. Bon sang qu'il est long ce pont! Et le fait qu'il ne soit pas droit renforce cette impression, il paraît sans fin! Quelques centaines de mètres après la descente nous arrivons à la boucle de Croix du Bac, la seule section du parcours où l'on peut croiser les autres coureurs. C 'est ainsi que nous apercevons Vivien dans son costume d'Assurancetourix! Il devient de plus en plus fou, décidément! Il ne va quand même pas faire les cent kilomètres accoutré de la sorte?
Le premier contrôle a donc lieu dans la salle des fêtes de Croix du Bac où nous attend, outre un ravitaillement copieux, un petit duo musical guitare-accordéon qui met de l'ambiance et donne du coeur à l'ouvrage.
Il faisait bien chaud dans la salle des fêtes, en sortant on se rend compte que la température commence à sérieusement descendre, il va falloir s'habiller chaudement pour la nuit!
Le soir tombe, faisant remonter des odeurs d'herbe fraiche, de terre et de colza, une vraie madeleine de Proust qui me renvoie une nouvelle fois à mon enfance dans un minuscule village près de Bergues. Au 3è ravito ça sent plutôt l'oignon par contre, et je manque de perdre Chti Vincent qui s'était écarté de la route pour satisfaire à un besoin naturel.
Il fait encore bien clair et on peut à loisir admirer les jolies maisons de campagne qui bordent le parcours, pour un peu ça donnerait envie de quitter Lille.
Dans les derniers kilomètres de ce premier tour nous incorporons un petit groupe de joyeux lurons, si bien que de blagues en chambrage bon enfant nous terminons le premier tour presque sans nous en rendre compte, en 2h44.
Vincent a atteint son objectif, il s'arrête là, non sans me souhaiter bonne chance et me faire promettre de lui envoyer un message si d'aventure j'entamais le 5è tour au petit matin. Rendez-vous est pris, et je me dirige vers ma voiture pour enfiler mes gants, passer mon écharpe autour de ma gorge si délicate ( j'ai déjà été victime de plusieurs extinctions de voix), fixer ma frontale et faire le plein de ma petite bouteille.
Au passage je fouille dans l'enveloppe ayant contenu mon dossard et finis par trouver le fameux ticket, celui que j'étais censé remettre au départ comme preuve de ma présence au début de l'épreuve.
Les lecteurs attentifs auront remarqué que je n'ai pas pris de polaire ni de pull. Je suis un inconscient, je sais.

C 'est donc parti pour le 2è tour dans la lumière déclinante et la température froidissante ( oui, j'invente des mots, ça m'arrive parfois). Les oiseaux jettent leurs derniers chants, le soleil couchant joue les artistes sur la toile d'un ciel pur, et l'air se charge des parfums de la nuit dont j'emplis mes poumons en profondes inspirations. Je me dis que j'ai vraiment de la chance de courir ici, aujourd'hui par ce temps là et je tiens à en profiter pleinement. Le seul problème ce sont les chemins de campagne qui sont tout sauf plats, et qui me promettent des frayeurs une fois la nuit noire venue. Je n'ai qu'une angoisse: me tordre la cheville et me casser à nouveau le pied. C 'est sans doute la seule chose qui pourrait m'arrêter ce soir.
Je retrouve bientôt le premier (long) pont ferroviaire, et à Croix du Bac, un peu inquiet, je demande aux contrôleurs que faire avec mon ticket que j'ai oublié de donner au départ. Ils me rassurent en me disant qu'il suffit de le donner à mon prochain passage à la salle des sports.
L'orchestre est toujours là, mais ils vont bientôt s'arrêter. On entre vraiment dans la nuit, il va y avoir de moins en moins de monde sur le parcours. Heureusement, à chaque bifurcation on a installé des lampes de chantier afin d'éviter aux coureurs de se perdre dans la nature.
Aux ravitaillements il y a maintenant de la soupe! J'en profite pour me réchauffer la carcasse. Ca fait du bien par où ça passe!
Un peu avant le deuxième pont, une voiture précédée d'un coureur me dépasse: c 'est le leader de la course qui vient de me prendre un tour! Mais au bout de quelques centaines de mètres je le vois s'arrêter et se tenir la cuisse à deux mains. Je dépasse l'équipage et il me dépasse de nouveau quelque temps plus tard. Au dernier ravito on m'apprend qu'il est sur le point d'abandonner. Il va juste tenter de rallier la salle des sports. Dure loi de la course.
Je termine ce deuxième tour plutôt tranquillement, en 2h40 et j'ai bon espoir de couvrir au moins 3 tours. Je me mets de plus en plus à croire à l'exploit.
A la salle des sports je finis par remettre mon ticket à des contrôleurs très compréhensifs qui m'assurent que mon oubli ne me portera aucunement préjudice.
Rasséréné, je file à ma voiture pour y chercher le sweat que je me souviens avoir mis dans le sac, mais à la lueur de la frontale je ne retrouve rien et je dois me contenter de mon coupe-vent. J'ai dû perdre facilement 20 minutes dans l'affaire.

Je me passe sur les jambes un peu d'huile chauffante (erreur dont je réaliserai l'ampleur plus tard) et c'est reparti pour un tour, le tour qui va décider de tout: si je finis celui-ci en bonne condition je repars pour un quatrième et à ce moment là je ne me vois pas abandonner aux portes du 5è, même si je dois terminer en boitant.
Il fait maintenant nuit noire, et il fait aussi très froid. Je me souviens que la météo annonçait 3° pour la nuit, et si elle s 'est trompé, ce n 'est pas de beaucoup! Mes gants ne me protègent pas vraiment, et mon coupe vent pas plus ( il n'y a pas de vent!). Pire encore, la sueur refroidit très vite et renforce encore mon inconfort. Pour autant j'apparais encore frais aux yeux des bénévoles avec qui je discute aux ravitaillements, et la dame qui s'occupe du dernier contrôle avant la salle de sport est convaincue que j'irai au bout. Voilà qui fait plaisir à entendre!
Le froid agit aussi sur mon système digestif, ou alors c 'est que j'assimile l'isostar trop vite, quoi qu'il en soit il me semble que je m'arrête tous les kilomètres pour une pause pipi, et au 3è ravito je dois faire la queue devant les toilettes mobiles.
Je l'ai dit, les chemins de campagne empruntés par la course ne sont absolument pas plats: ils forment comme une bosse en leur milieu qui descend en une pente plus ou moins prononcée sur les deux côtés. La plupart du temps je tente de marcher sur le sommet, de garder le haut du pavé en quelque sorte, mais ce n 'est pas toujours possible, alors je privilégie le côté gauche de la route afin d'épargner mon pied droit. Arrivé au milieu de la boucle je sens ma cheville se tordre. Je sursaute, plus de peur que de douleur, mais me rassure vite: même si je ressens une légère douleur cela n'entrave en rien ma foulée. Tout de même, je me suis fait une belle frayeur, et je redouble désormais de vigilance.
Je termine ce tour de tous les dangers en 3h06, et je me sens encore en pleine forme, n'était-ce ce froid qui commence à s'insinuer dans tout mon être. Il faut absolument que je retrouve ce sweat! Je retourne à ma voiture et retourne le contenu du coffre sur la route, mais je ne trouve toujours rien. Il ne me reste plus qu'un chose à faire: mettre des vêtements secs. Heureusement que j'avais apporté des vêtements de rechange! Je change tout: mon t-shirt manches longues, le manches courtes, les chaussettes, les pansements ( je commence à avoir de belles ampoules au pied gauche), le slip (j'ai un début d'échauffement à l'entrejambe) et le short (je retrouve mon vieux short bleu, celui que j'ai porté sur presque toutes mes courses). Je ne garde que mes baskets; même si j'avais apporté toutes les paires que je possède celles-ci me semblent les plus à même de m'amener au bout.
Je refais le plein de ma bouteille et je repars dans la nuit noire.

A part l'irritation de plus en plus prononcée de mon entrejambe, me forçant à marcher légèrement en canard, et les jambes qui se font de plus en plus douloureuses, rien de notable ne se produit sur ce tour jusqu'à Croix du Bac où je croise François d'Arras qui m'encourage chaleureusement et me dit qu'il abandonne. Il venait d'entamer son 3è tour. Je suis désolé pour lui, et même si je n'y suis pour rien je me sens un peu coupable: après je ne sais combien de tentatives il ne finira encore une fois pas cette course, alors que je suis bien parti pour y parvenir à ma première participation, avec la non-préparation que l'on sait. Il se passe vraiment des choses bizarres sur les courses.
Autre bizarrerie, certaines lampes situées aux bifurcations se sont éteintes, heureusement qu'on commence à bien connaître le parcours!
La fatigue commence à se faire sentir: j'ai l'impression de dormir debout, et de temps à autre, dans la lueur des frontales des coureurs qui me précèdent je crois voir des animaux qui traversent ou attendent le long de la route. J'hallucine, il est temps de me mettre au café!
Alors que je vois poindre les première lueurs de l'aube, une silhouette familière se matérialise à mon côté: Le Rag'! Comme je m'en doutais au départ, il a fini par me rattraper. Tout à l'air d'aller bien pour lui. On discute, on plaisante, le temps et les kilomètres s'estompent, je m'arrête au dernier ravito, mais lui continue. Je ne le reverrai qu'à l'arrivée.
Mes jambes sont de plus en plus douloureuses, et sur les deux derniers kilomètres je suis obligé de marcher, hors ascension de ponts, pour la première fois depuis le départ.
Je boucle cet avant-dernier tour en 3h26. A présent j'en suis certain: dans quelques heures j'en aurai fini avec mon premier cent kilomètres ( il y en aura d'autres, forcément!), mais pour l'heure il faut faire quelque chose à propos de cette irritation à l'entrejambe! Je m'adresse aux médecins présents dans la salle afin de leur demander une pommade ou quoi que soit qui puisse me soulager, mais pour ce genre de choses les pommades sont uniquement préventives (encore une chose à prévoir la prochaine fois), On me pose donc un pansement qui limitera les frottements.

J'entame le cinquième tour. Comme promis j'envoie un sms à Chti Vincent puis décide d'embarquer mon appareil photo afin d'immortaliser le dernier tour de cette grande première: mon premier cent kilomètres!
Je savoure cette dernière boucle comme un coureur de cent mètre faisant un tour de stade après sa victoire; le soleil est désormais bien levé, les oiseaux chantent pour célébrer l'aube nouvelle, et, je me plais à l'imaginer, mon exploit personnel, le ciel est d'un bleu pur, il ne fait plus si froid, même si je garde mon écharpe, je vis un véritable moment de bonheur.
Du moins jusqu'à ce que mes jambes se mettent à brûler! Littéralement!
Je ne sais pas si c 'est dû à l'huile chauffante que je me suis appliquée au coeur de la nuit quand il gelait presque, ou à la sueur qui, à cause des sels qu'elle transporte a cet effet, ou si c 'est l'effet de l'acide lactique, c'est sans doute tout cela à la fois, mais en tout cas c 'est très désagréable! Pas vraiment douloureux, du moins pas insupportable, mais très gênant.
Je ne laisse cependant pas cela me gâcher mon plaisir, et je mitraille à tout-va, ce qui me fournit une excuse toute trouvée pour marcher de temps en temps.
A environ 7 ou 8 km de l'arrivée mon téléphone sonne: c 'est Chti Vincent qui me confirme qu'il sera présent à l'arrivée. Mon message matinal a fait son petit effet, il est très heureux pour moi mais aussi complétement abasourdi, comme beaucoup de monde, et moi le premier. Même si j'espérais au fond de moi terminer ce cent kilomètres j'avais de sérieux doutes sur mes les capacités de mes jambes à tenir la distance, surtout pour ma cheville et mon pied droits! Mais je suis bien là, à moins de dix bornes de l'arrivée, sur le point d'atteindre ce nouvel Himalaya.
Je m'imprègne une dernière fois du paysage, c 'est la dernière fois que je passe par ici, du moins pour cette année, c 'est la dernière fois que je vois cette ferme, cette maison de campagne, cette cabane dans les arbres. Je double encore des randonneurs sur la route, ils ont vraiment marché toute la nuit comme ça? Je me fais doubler aussi, par de véritables flèches! La course du matin a débuté depuis quelques heures, et ce n 'est pas la même allure! Presque tous prennent le temps de m'encourager au passage, parfois même de me féliciter quand la conversation dure assez longtemps pour que leur dise que j'en suis au dernier tour, c 'est vraiment sympa de leur part, et ça donne bien la pêche pour terminer. Oui, car j'ai beau vivre un grand moment de bonheur, je n'en ai pas moins mal aux jambes et j'ai quand même hâte d'en finir, d'autant plus que la ligne d'arrivée se rapproche.
J'arrive dans les ultimes virages champêtres, plus que deux kilomètres. Au bout là bas on revient sur de la vraie route, il faut faire attention aux voitures,on tourne à gauche, puis à droite, c 'est la longue ligne (à peu près) droite qui mène à Steenwerck, voici le panneau annonçant l'entrée dans l'agglomération, un peu plus loin c 'est la marque des 99 km, ça y est, je vais y arriver, plus que mille mètres. Je voudrais déjà être arrivé, mais j'aimerais aussi prolonger cet instant. Il faut choisir, alors j'avance, j'accélère même! A trois cent mètres de l'arrivée j'aperçois Vincent qui me prend en photo.
Un grand sourire, un signe de la main, un bonjour, je lui confie mon appareil photo, Vincent doit piquer des sprints pour pouvoir me photographier de face! je n'ai jamais couru aussi vite ces dernières 24 heures! Enfin je passe la porte de la salle des sports sous les hourras et les applaudissements des bénévoles et des gens présents dans la salle, je regarde le tableau, mon nom apparaît en rouge, 100km en 15h09! Je me retourne, tout le monde est là: Vivien, qui en a terminé trois heures plus tôt, le Rag' et sa moitié, et même François d'Arras, qui était resté toute la nuit pour encourager les copains.
Je me retourne encore vers le tableau, je n'y crois toujours pas. J'ai couru (enfin la plupart du temps) pendant 100 kilomètres et je ne suis même pas si fatigué que cela. Je m'étais préparé à finir en rampant s'il le fallait mais finalement il n'y a que des douleurs aux jambes comparables à l'arrivée d'un 6h. Je m'écoeure moi-même! Je ne sais pas ce que me réservent mes courses futures, mais en tout cas aujourd'hui rien ne pouvait m'arriver, rien ne pouvait me stopper, une sorte d'état de grâce, je ne vois pas comment expliquer cela autrement. J'ai fait la course de ma vie.
Je m'attable avec les copains, on compare nos impressions, nos chronos, on parle de Shunga (que je n'ai toujours pas rencontré), toujours en course.
Je « sens l'effort », comme dit Vivien, donc direction la douche, clopin-clopant. L'eau est froide mais fait un bien fou, d'autant que j'ai toujours les jambes en feu. Cette sensation de brûlure se dissipera finalement assez rapidement, mais j'aimerais bien savoir ce qu'il en est.
Retour à la joyeuse tablée. Je crois que c 'est François qui paie la tournée de bières, Vivien quant à lui se charge des frites.
Bon sang ça fait du bien par où ça passe!
Grand moment de camaraderie et de convivialité.
Vincent était aussi venu dans l'éventualité où j'aurais trop mal aux jambes pour conduire, finalement ça va, je me perd un peu du côté de Nieppe mais je finis par retrouver l'autoroute.

Je comate toute la journée, pas moyen de vraiment dormir après une nuit pareille. Je suis crevé mais aussi trop exalté pour prétendre à un vrai sommeil. Il va me falloir un moment pour réaliser ce que je viens d'accomplir.
En attendant, retour à Steenwerck en soirée pour la remise des prix. J'en profite aussi pour passer prendre mon t-shirt aux couleurs de la course. Quand je vous dis que je suis une tête de linotte! (au fait, mon sweat était bien dans mon sac! C 'est ça de courir sans lunettes!)

Une ultime bière avec Vivien avant de monter sur le podium ( tous les finishers y sont conviés) et il est temps de rentrer, je suis attendu chez ma soeur qui va encore me traiter de cinglé. Elle doit avoir un peu raison quelque part. Pour quelle raison une personne sensée se lancerait-on dans une telle aventure? Mais c 'est si bon d'être fou, surtout lorsqu'on vit des moments aussi forts! Et celui-ci, comme tant d' autres, n'aurait jamais été possible sans la bande de cinglés que j'ai rencontrée sur Kikourou.

Je vous le disais, j'ai de mauvaises fréquentations ;)