Toujours occupé à la finalisation de son Don Quichotte, boudé par les producteurs, Orson Welles s’occupe comme il peut. Il fait de la télévision, tourne comme acteur pour d’autres réalisateurs, et filme de temps en temps, accumulant des projets qui restent pour la plupart inachevés par manque d’argent. L’un d’eux finit cependant par voir le jour en 1975 : F For Fake ( Vérités et Mensonges en vf), une sorte d’essai filmique sur le thème de la vérité, de l’art, et des faussaires. Le film commence à Ibiza par une évocation de la vie du plus célèbre peintre faussaire du XXè siècle, Elmyr de Hory, dont même le nom est sujet à caution. Peintre prodige, mais dont les œuvres ne se vendent pas, celui-ci, d’abord pour subsister, se met à faire des faux qui abusent tous les experts. La supercherie sera dévoilée par un écrivain qui avait lui-même du mal à vendre ses romans, Clifford Irving, lui-même impliqué dans une escroquerie mettant en cause Howard Hughes. Au début du film, Welles, en présentant le sujet de son œuvre (les Faussaires, le travestissement de la réalité), nous assure que bien qu’il se considère lui-même comme un charlatan, il ne nous dira que la vérité pendant l’heure qui va suivre, mais le film durant près d’une heure et demi, il finit bien entendu par nous raconter des bobards. Car Welles aimait avant tout raconter des histoires, captiver son auditoire, comme en atteste la séquence de la fête dans le Château en Espagne de Gregory Arkadin. On en retrouve ici des échos, puisque Welles se met en scène au restaurant, conteur jovial abreuvant un auditoire pendu à ses lèvres, ou encore dans des séquences de pique-nique, mettant en évidence l’hypocrisie au cœur de l’acte documentaire: dès que la caméra tourne, il y a mise en scène, et dès qu’il y a montage il y a manipulation. On retrouve d’ailleurs très vite Welles dans sa salle de montage, alors qu’il est apparemment en train d’assembler son documentaire, une façon de nous rappeler que c’est lui et personne d’autre qui mène le bal. Des petits interludes où on le voit faire ses tours de magie, ou des digressions sur les débuts de sa carrière ont le double rôle d’enrichir le récit et d’embrouiller le spectateur. Le documentaire, en effet, semble parfois se perdre dans des digressions bizarres, mais toujours fascinantes, passant du récit de la propre expérience de peintre de Welles à la vie d’ermite de Howard Hughes en passant par le séjour de Picasso dans une petite ville balnéaire du sud de la France. Le tout donne une impression équivalente au « Stream of counsciousness » cher à certains écrivains, l’illusion que l’artiste passe d’une chose à l’autre comme s’il exprimait tout ce qui lui passe par la tête au moment même où celles-ci s'imposent à son esprit. Cela fait aussi de ce film une sorte de réflexion sur le processus créatif: en tournant un film d’autres idées apparaissent qui donnent naissance à un autre film qui s’imbrique dans le premier et ainsi de suite. Mais rien n’est ici laissé au hasard, et c’est bien à une manipulation que se livre Welles, ainsi qu’à une critique des soit-disants experts qui décident péremptoirement de ce qui est vrai ou pas, de ce qui est de l’art ou non. Pour autant, F For Fake n’a rien d’un pensum lourd et indigeste, la truculence de Welles en fait une expérience des plus plaisantes et des plus fascinantes. Une supercherie d’une telle honnêteté qu’elle ne peut que rendre heureux celui qui en est la victime consentante. Puisque la réalité elle-même est sujette à caution, qu’au moins le mensonge soit beau.
Morts en duo
Il y a 1 an
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