dimanche 31 août 2008

LA DAME DE SHANGHAI ( The Lady From Shanghai) Orson Welles 1947




Selon la légende, le Mercury Theater avait un besoin urgent de $ 55,000. Tombant par hasard sur le roman "The Man I Killed" de Sherwood King , Welles appela Harry Cohn, producteur à la Columbia ( qu'il connaissait bien , Rita Hayworth étant sous contrat avec ce studio) lui demandant d'en acheter les droits afin qu'il adapte , dirige et joue dans un film qui en serait tiré.
Pour la studio le coup de pub semblait juteux: la star maison ( qui venait tout juste de triompher dans Gilda) dirigée par son mari, génie maudit, dans un film noir , genre très à la mode à l'époque, tous les ingrédients semblaient réunis pour réaliser un véritable hold-up au box office.

Sauf que , encore une fois , les producteurs auraient dû se douter que Welles n'allait pas leur livrer le produit formaté qu'ils attendaient.

Tout d'abord, Welles et Hayworth étaient à l'époque en instance de divorce, autant dire que l'ambiance entre le réalisateur et la star étaient loin d 'être au beau fixe.

Premier choc: avant même le premier tour de manivelle Welles demande à Rita de couper son opulente et légendaire toison rousse et de se teindre en blond platine, et ce devant les caméras!

Ensuite, une bonne partie de l'action se déroulant sur un yacht, on loue celui d'Errol Flynn, qu'il pilotera d'ailleurs lui-même. Le tout bien sûr à grands frais ( quoi que la faute en incombe sans doute ici plus au studio qu'à Welles).

Enfin , le film , loin de magnifier la star, en fait une créature retorse et vicieuse, qui finit par agoniser au sol alors que le héros s'en va en lui tournant le dos.

Et pourtant...
On avait embauché Welles pour faire un film noir , et c 'est bien ce qu'il a fait. On y retrouve tous les ingrédients: l'intrigue tordue et labyrinthique, la femme fatale, le héros perdu au milieu de tout ça, l'action qui avance principalement de nuit au gré des meurtres qui éliminent graduellement le casting, jusqu'à la scène de séduction à base d'allumage de cigarette!Welles , sans doute encore marqué par son expérience brésilienne , applique aux scènes filmées sur le yacht et lors des arrêts picnic ( qui évoquent furieusement les picnics de Kane) sur la côté méxicaine les même techniques que celles utilisées pour It's All True, leur conférant un aspect documentaire. On sent sa jubilation lors des fabuleux numéros d'acteur de Glenn Anders ( Grisby) et de Everett Sloane (en mari outragé et avocat paralythique, déjà présent sur Citizen Kane), mais c 'est bien entendu la scène finale qui emporte tous les suffrages: la fameuse fusillade dans le labyrinthe de glaces, où chaque coup de feu fait voler en éclat les reflets des protagonistes, ainsi que, métaphoriquement , leurs masques.

Le studio , évidemment , n'apprécie pas vraiment ( c 'est le moins qu'on puisse dire) que l'on traite sa star maison de la sorte et , capitalisant sur le succès de Gilda, repousse la sortie de La Dame De Shanghai de un an , le temps pour les cheveux de la belle de repousser , afin qu'elle apparaisse dans toute sa splendeur pour la promotion du film. Le métrage, quant à lui , est sévèrement charcuté, puisque de 155 minutes il passe à 87, ce qui explique sans doute que certaines choses restent quelque peu floues ( les motivations réelles de Grisby par exemple).Cependant , en l'état La Dame De Shanghai reste un monument du cinéma, un des meilleurs films noirs jamais réalisés, et le deuxième chef d'oeuvre ( chronologiquement) de Welles.

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