Mike Vargas ( Charlton Heston), haut responsable mexicain de la lutte anti-drogues, et sa jeune épouse Susan ( Janet Leigh) sont en pleine lune de miel et traversent à pied la frontière américano-méxicaine lorsqu'une voiture explose pratiquement sous leurs yeux. Le suspect numéro un est un méxicain , ce qui permet à Vargas de se mêler à l'enquête et de se confronter à Hank Quinlan ( Welles, massif) , le sheriff du côté américain, une légende vivante, mais qui a tendance à donner un coup de pouce au destin pour faire progresser ses enquêtes...
Il suffit parfois d'un rien pour que naissent des chef-d'oeuvres , une erreur de communication entre une star et des producteurs par exemple. Lorsque les studios Universal proposent à Charlton Heston, la Star des Dix Commandements, et bientôt de Ben Hur, de jouer dans un film avec Orson Welles, il comprend que Welles sera le réalisateur , et non simple acteur, et signe avec enthousiasme.
Les producteurs, n'osant pas le contrarier, proposent donc à Welles de réaliser le film, sans réévaluer son cachet d'acteur pour autant. Mais Welles est tellement heureux d'avoir l'occasion de diriger de nouveau un film à Hollywood qu'il ne fait pas le difficile. De son propre aveu ce tournage aura même été son expérience hollywoodienne la plus agréable. Le fait que Heston et Janet Leigh comptent parmi ses fans aide sans doute.
Welles révise le scénario, transforme le personnage de Charlton Heston en mexicain et déplace l'action dans une ville frontalière. Pour avoir la paix il tourne essentiellement de nuit et invite des amis à tenir des petits rôles :Zsa Zsa Gabor, Marlène Dietrich en tenancière de maison close, Akim Tamiroff, déjà apperçu dans Mr Arkadin , incarne un ganster mexicain, Mercedes Mc Cambridge ( Johnny Guitar) une petite frappe inquiètante, et un rôle de veilleur de nuit névrosé est même créé spécialement pour Dennis Weaver, qui deviendra mondialement célèbre 13 ans plus tard en se faisant courser par un camion dans un téléfilm réalisé par un illustre inconnu. Welles lui-même , qui a déjà beaucoup grossi depuis qu'il a passé la quarantaine, se fait appliquer force prothèses et rembourrages pour paraître encore plus imposant.
Malheureusement , comme souvent dans la carrière de Welles , c 'est en post-production que les affaires se corsent. Le tournage terminé, Welles laisse des instructions au monteur et repart au Mexique continuer le tournage de son Don Quichotte, projet maudit entre tous qu'il tentera de mener à bien jusqu'à sa mort en 1985. Hors, les producteurs n'apprécient pas les rushes, et demandent à Harry Keller de tourner de nouvelles scènes, et en suppriment d'autres tournées par Welles.
Welles parvient à voir le film avant qu'il ne sorte et rédige un mémo de 58 pages sur la façon dont il avait envisagé le film. Les producteurs n'en tiennent pas compte et le film sort donc mutilé ( qui a dit " comme d'habitude "? )
Mais il arrive aussi que des miracles se produisent, et pour une fois celà arrive à un film de Welles: dans les années 90, Charlton Heston retrouve dans ses archives le fameux mémo, ce qui permet au film d'être remonté plus ou moins selon les souhaîts de son auteur.
La Soif Du Mal est considéré comme beaucoup comme le meilleur film de Welles après Citizen Kane, et l'un des meilleurs "films noirs" jamais réalisés, et cela dès sa première sortie. Les louanges de Goddard et Truffaut doivent y être pour quelque chose.
Quoi qu'il en soit, cela reste un film unique sur la justice et la corruption, où la décrépitude des décors reflète celle des âmes, où l'on parle ouvertement de drogues et de toxicomanie, où le personnage principal est un mexicain qui épouse une américaine ( il faut replacer le film dans son contexte d'Amérique pré mouvement des droits civiques) sans parler bien entendu de la démonstration de maîtrise technique que produit Welles , notamment lors de la scène d'ouverture, un plan séquence de presque 5 minutes qui suit les personnages alors qu'ils traversent la frontière .
On sait l'admiration de dePalma pour Hitchcock, mais il est tout aussi certain que Welles l'a inspiré tout autant! ... D'ailleurs c 'est bien Welles qui a eu le premier l'idée d'enfermer Janet Leigh dans un motel avec un veilleur aux tendances psychotiques!
Film mutilé avant sa distribution mais en l'état déjà culte pour toute une génération de cinéphiles, La Soif Du Mal gagne encore des admirateurs depuis sa rénovation en 1999, et reste un flamboyant témoin du génie d'Orson Welles, même alors qu'il oeuvrait dans le contraignant système des grands studios américains.Ce sera d'ailleurs le dernier film qu'il dirigera dans son pays natal, puisqu'il choisira de s'exiler dès lors définitivement en Europe, et plus particulièrement en Espagne.
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