mardi 28 octobre 2008

LE PROCES (THE TRIAL) - ORSON WELLES - 1962


Se réveillant un matin , Joseph K a la surprise de trouver dans la chambre qu'il loue chez Mme Grumbach deux inspecteurs de police qui lui apprennent qu'il est en état d'arrestation , mais reste libre de ses mouvements en attendant son procès. K a beau questionner toutes les personnes qu'il rencontre, il ne parvient pas à savoir de quoi il est accusé, tout juste lui fait-on comprendre que l'affaire est très grave. Plus il cherche à y voir clair moins il comprend ce qu'il lui arrive, et plus il se débat, refusant de jouer le jeu de ce système judiciaire aussi absurbe qu'implacable et plus il hâte sa propre fin .
En 1960, sur le tournage d'Austerlitz d'Abel Gance , Welles sympathise avec les producteurs russes Michael et Alexander Salkind ( grand-père et père D'Ilya Salkind,futur co-producteur avec son père du Superman de Richard Donner), qui lui proposent de jouer dans leur version de Taras Boulba. Welles accepte à condition d'écrire et de réaliser le film. Le script terminé, les Salkind apprennent à Welles que le projet est annulé en raison du projet Hollywoodien concurrent avec Yul Brynner et Tony Curtis. Ils lui proposent alors d'adapter un livre parmi une liste qu'ils lui soumettent. Welles se décide pour Le Procès de Franz Kafka et attaque le scénario, commence à réfléchir à sa mise en scène et conçoit même les décors des intérieurs, mais alors que le décorateur s'apprête à les construire les Salkind lui avouent ne pas avoir l'argent necessaire.
Les Salkind père et fils étaient des amoureux du cinéma mais n'étaient guère riches ( du moins à l'époque), et s'ils parvenaient toujours à produire leurs films, c'était au prix de mille tractations et sollicitations auprès des financiers les plus improbables, comme le compositeur de ce film par exemple ( ce qui empêcha Welles de choisir celui qu'il voulait ).
Sur le point de débuter le tournage, mais sans décors, Welles se promènant dans Paris tombe une nuit sur la gare pratiquement désaffectée d'Orsay. Si la façade ne l'inspire pas vraiment, il est subjugué par l'intérieur: cette architecture où se mélangent poutrelles d'acier et vieilles boiseries, cette modernité nostalgique à la Jules Vernes est exactement ce qu'il cherchait!
Le tournage peut donc commencer, partagé entre la France et la Yougoslavie. Welles s'entoure comme de coutume d'excellents acteurs plus ou moins connus: son vieux complice Akim Tamiroff, Suzanne Flon ( déjà présents dans Mr Arkadin), Jeanne Moreau l'égérie de la Nouvelle Vague, Romy Schneider en pleine reconversion après la série des Sissi, Michael Lonsdale, Jess Hahn et surtout Anthony Perkins ,qui venait de triompher dans le Psychose d'Hitchcock, et qui livre ici une performance au moins aussi marquante. Sa haute silhouette gracile, son visage enfantin et son jeu anxieux et torturé font merveille dans ce conte cauchemardesque et paranoïaque.
Fidèle à lui-même Welles ne fournit pas une simple transcription du matériau original mais signe une véritable adaptation. Il commence par transposer l'action au moment présent ( à l'époque du tournage): les personnages évoluent dans une Europe d'après-guerre en pleine reconstruction , où des immeubles impersonnels et solitaires se dressent au milieu des terrains vagues, où une armée de dactylos s'affairent dans une immense salle dans un vacarme autant évocateur des machines d'usine que des mitrailleuses, dominées par la salle où trône l'ordinateur censé avoir les réponses à toutes les questions, sans oublier un nuage de fumée évoquant la bombe atomique. Jamais esclave du texte il coupe et interverti des répliques , et en ajoute même de son cru pour mieux servir l'histoire.
Welles éclaire et cadre les décors " naturels" de la gare d'Orsay de façon à composer, à coups de jeux d'ombres et de lumières, de plongées, contre-plongées et profondeur de champs, un paysage de bureaux , de salles et de chambres sombre, sinistre et oppressant, au milieu duquel Joseph K ne peut évoluer qu'au prix d'improbables contorsions, alors que les plafonds, les murs et l'obscurité se referment peu à peu sur lui tandis que le montage va en s'accélérant, transposant à merveille la sensation de claustrophobie,d'étouffement, d'essoufflement et d'oppression procurée par la lecture du roman.
Gardant à l'esprit que Kafka, en tant que juif, parlait aussi dans ses écrits du sort de son peuple, Welles décide d'incorporer des images évoquant la Shoah; ainsi le peintre qui fait les portraits des juges est-il habillé d'un pijama rayé rappelant ceux portés dans les camps de concentration, ainsi les accusés attendant dans le hall du tribunal l'issue de leurs procès respectifs évoquent les juifs attendant les trains qui vont les emmener à l'abattoir ( d'autant plus que ces scènes ont été tournées dans une gare!), ainsi cette foule d'âmes résignées, immobiles, pancarte au cou, sur une place monumentale dominée par une statue voilée figurent-ils les victimes opprimées des divers régimes totalitaires, passés ou présents...
Le Procès est , parmi ses films, celui que préfère Welles, car c 'est le seul, à part Citizen Kane , qu'il considère entièrement de lui, vierge de toute intervention des producteurs ( même s'il a dû se débrouiller sans les décors prévus), le seul qui n'ait pas été retouché , le seul qui soit fidèle à sa vision, en quelque sorte , déjà, son testament.

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