En feuilletant le Sortir du mois de mars lors de la soirée Blaxploitation, je découvris qu'une nuit du nanar était prévue à Lille deux jours plus tard, qui plus est à L'Univers, un petit cinéma associatif situé littéralement à deux pas de mon appartement.
Ne pouvant pas me rendre à la nuit excentrique organisée par Nanarland à Paris j'y vis une occasion de me consoler quelque peu. De plus le prix (3 euros) était dérisoire.
Trois films étaient prévus: Blood Freak, Crocodile Fury et White Fire / Le Diamant/ Vivre Pour Survivre (oui, à lui seul ce dernier film comptabilise trois titres).
Si je n'avais encore jamais vu la première des trois oeuvres projetées ce soir là, les deux autres ne m'étaient pas étrangères; j'en avais entendu parler dès mon arrivée sur le site des mauvais films sympathiques, m'étais débrouillé pour me les procurer et n'avais pas été déçu. La perspective de les revoir sur grand écran, au milieu d'une foule d'amateurs ainsi que de découvrir un nanar inédit me décidèrent bien vite.
Le jour dit, un peu avant l'heure prévue, j'arrive donc à L'Univers. Jusque là je n'étais allé qu'une seule fois dans ce cinéma, près de vingt ans auparavant pour une nuit du fantastique avec des copains de fac.
Le lieu a bien changé, tout a été refait à neuf. Une fois mon billet acheté, je me retrouvai face a un bar décoré pour l'occasion d'affiches nanardes du plus bel effet. Trônant sur le réfrigérateur à bières, un poste de télévision faisait défiler d'autres posters promotionnels du même genre sur fond musical. Un bon point pour l'ambiance. Un regard circulaire m'apprit que le cinéma, outre la salle de projection, comptait deux salles d'exposition, l'une ornée de nouvelles affiches tandis que l'autre, équipée d'un vidéo projecteur, pouvait servir de soupape de sécurité en cas de surpopulation dans la grande salle.
Tout en attendant que la mousse de ma bière redescende, je grignote quelques cacahuètes et engage la discussion avec la jolie et souriante serveuse. Je me sens déjà chez moi, il faudra que je revienne!
Je finis ma bière et après un détour par les toilettes je m'installe avant que la salle de projection ne soit prise d'assaut. J'ai la surprise quelques instants plus tard de reconnaître, assis dans le fauteuil juste devant moi, un de mes collègues du lycée. Lui par contre ne semble pas m'avoir vu ou reconnu, d'ailleurs il est en charmante compagnie. Alors que la salle commence à bien se remplir, un énergumène barbu se plante devant l'écran et commence à faire des gestes bizarres. Je finis par comprendre qu'il fait partie de l'organisation de la soirée, il demande à ce qu'on amène plus de chaises et tente de réguler le flot humain. Je ne sais pas si tout ça est vraiment conforme aux règles de sécurité, mais le côté insolite de la situation n'échappe pas aux spectateurs qui se mettent vite à glousser de rire. L'animation de la soirée serait-elle nanarde elle aussi?
Une fois tout le monde installé, notre ami est rejoint par un type grisonnant et il devient vite évident que les deux compères ont bien profité du frigo sus-nommé. Tandis qu'ils nous expliquent tant bien que mal le programme, un hurluberlu en pyjama fait irruption dans la salle et commence à hurler sur les présentateurs, se plaignant du bruit occasionné par les soirées thématiques organisées dans le cinéma. C'était en fait un intermède comique destiné à rappeler aux spectateurs de ne pas faire trop de bruit lorsqu'ils sortiraient entre les films pour aller prendre l'air et s'intoxiquer les poumons (étrange paradoxe au passage).
Les choses étant revenues dans l'ordre, notre ami barbu nous présente le premier film tandis que son acolyte nous parle des bandes annonces et extraits qui précéderont chaque oeuvre, tout fier de nous dire que c 'est lui a réalisé tout seul les trois montages d'une vingtaine de minutes chacun. Selon le programme le premier montage devait intervenir après le premier film, on prend donc déjà pas mal de retard à l'allumage.
Le premier prologue, ma foi fort divertissant, passé, il est temps pour mes yeux impatients de découvrir Blood Freak. Le film date de 1972, et ça se voit, déjà rien que dans les vêtements et les coiffures de personnages. Ensuite aussi au fait que toute l'intrigue tourne autour de la drogue ( en gros: la drogue c 'est le mal!!!). Mais l'aspect le plus étonnant est le côté ouvertement pro-religieux du film. Tout cela aurait pu donner un film bien ennuyeux si chaque personne impliquée dans la réalisation de cet ovni cinématographique ne faisait de son mieux pour le nanardiser à outrance.
C 'est bien simple, absolument rien ne peut être pris au sérieux dans ce film!
L'introduction donne le ton: un type nous explique dans un plan fixe, regard face caméra, pendant deux bonnes minutes, que notre monde est sujet à des changements ( ah bon? j'avais pas remarqué), que toute rencontre peut apporter des changements, et que les catholiques par exemple peuvent apporter des changements (WTF??!!!). On dirait le speech improvisé en direct devant l'objectif tant le personnage ne semble pas savoir où il va ( et nous non plus d'ailleurs), et le doublage en rajoute une énorme couche, la version française se hissant au niveau d'amateurisme ( ou de j'm'en foutisme?) du film. La post-synchronisation semble avoir été faite en une seule prise alors que les doubleurs (non professionnels bien sûr, sinon ce serait moins marrant) découvraient leur texte, quant à la réalisation elle évoque les meilleurs films de vacances de tonton Michel en super 8.
Mais le pire ( soit le meilleur) est encore à venir, puisque sous l'effet d'un mélange de drogues ( on vous avait dit que la drogue c'était pas bien!) et de viande de dindon aux hormones, le "héros" , puisqu'il faut bien l'appeler comme ça, se transforme... en homme dindon assoiffé de sang!
A partir de là, évidemment, tous les murs de la réalité s'écroulent et le spectateur ne peut que se laisser emporter par la folie qui suinte de l'écran en se demandant s'il n 'est pas en train de rêver. Ce n 'est pas possible! des films pareils ça n'existe pas!! ben si, la preuve!
Pour nous remettre de nos émotions, lors du premier entr'acte, des "croque-nanar" nous furent proposés. Ils eurent d'ailleurs tant de succès qu'il n'en resta plus pour la deuxième pause.
Après une telle mise en bouche, la tâche s'avèra ardue pour les deux films suivants.
Crocodile Fury tira tout de même fort bien son épingle du jeu avec son histoire "2 en 1" mêlant crocodile tueur en carton, et vampires chinois sautillants. Même si le doublage semble un peu plus pro, les dialogues restent redoutables et l'histoire complétement hermétique, mais se laisse suivre sans déplaisir.
Vendre de la bière dans un cinéma est une bonne idée en soit, surtout lorsqu'il s'agit de bières locales, puisqu'on a en plus l'impression de soutenir l'économie régionale, par contre lors d'événements de ce genre cela peut causer certains désagréments. Aussi, malgré les demandes répétées des deux organisateurs, eux même de plus en plus imbibés à mesure que la soirée progressait, de ne pas laisser les canettes trainer sur la moquette de la salle, les bonnes intentions passèrent vite à la trappe et le sol se retrouva bientôt jonché de cadavres. De plus, les spectateurs supportant plus ou moins bien l'alcool, certains éléments se révélèrent bientôt d'une lourdeur plutôt pachydermique, si bien qu'il devenait parfois difficile de suivre ce qu'il se passait à l'écran.
Le rythme plus lent de White Fire, sa nanardise plus subtile et surtout l'heure tardive à laquelle il commença ( vers 2h30 du matin quand même) vidèrent peu à peu la salle qui s'était considérablement peuplée entre les deux premiers films. Des remarques à voix hautes commencèrent à fuser du fond, des cris se firent même entendre, il fallait bien ça sans doute pour garder les spectateurs éveillés.
Pour ma part je dois avouer être passé à côté du véritable intérêt de White Fire la première fois que je l'avais vu, mais cette deuxième vision me confirma qu'il s'agit en effet d'un nanar de haute volée, qu'il faut revoir plusieurs fois afin d'en apprécier tous les trésors.
Ce fut finalement une soirée très agréable, la première du genre sur la métropole lilloise, une initiative qui, je l'espère, fera des émules.
D'ailleurs chacun peu contribuer à la programmation de ce cinéma et prendre en charge l'organisation de soirées thématiques, et franchement ça donne envie de s'y mettre!